De nombreuses formes atypiques de relations d’emploi se sont développées de façon importante : le travail à durée déterminée, le travail indépendant « fictif », le travail intérimaire, saisonnier, le travail vacataire du secteur public, ont pour conséquence l’exposition de très nombreux travailleurs à l’instabilité et à l’insécurité qui créent des situations de précarité dans le travail. Cela constitue un facteur de risque professionnel supplémentaire aussi bien physique que psychologique ...
De nombreuses formes atypiques de relations d’emploi se sont développées de façon importante : le travail à durée déterminée, le travail indépendant « fictif », le travail intérimaire, saisonnier, le travail vacataire du secteur public, ont pour conséquence l’exposition de très nombreux travailleurs à l’instabilité et à l’insécurité qui créent des situations de précarité dans le travail. Cela constitue un facteur de risque professionnel supplémentaire aussi bien physique que psychologique :
- Les conditions de travail des travailleurs précaires entraînent souvent une exposition accrue aux risques : l’affectation fréquente aux travaux les plus pénibles et dangereux, la formation insuffisante, la faible connaissance des lieux et procédures de travail du fait de leurs rotations incessantes dans les postes occupés, augmentent la vulnérabilité des travailleurs précaires.
- L’enchainement de contrats courts, la grande diversité des lieux de travail, rendent très difficile le suivi médical des travailleurs précaires, de leurs accidents de travail et de leurs maladies professionnelles et la traçabilité de leurs expositions aux risques professionnels, notamment chimiques.
- La fatigabilité et le stress sont accrus avec l'enchaînement de missions différentes, avec l'obligation de suivre le rythme des autres salariés malgré la méconnaissance du poste, avec des prises de risque pour être à la hauteur et la réticence à demander des informations par manque de confiance ou de peur d’apparaître incompétent.
- Les marges d'action des travailleurs précaires sont très limitées pour faire valoir leurs droits de protection en matière de santé et de sécurité au travail.
Le contexte socio-économique du travail précaire
Le recours croissant à l’emploi précaire, jadis limité aux besoins strictement conjoncturels ou saisonniers, correspond de plus en plus à des facteurs structurels d’évolution de l’organisation du travail, la tendance générale à l’externalisation des tâches, la réponse de flexibilité aux rigidités des contrats à durée indéterminée. Plus fondamentalement, les conditions du marché mondial et ses mutations technologiques et concurrentielles, accroissent la nécessité d'adaptations toujours plus rapides et fréquentes, ce qui génère un ébranlement de la sécurité des relations de travail. Dans ce contexte, la précarité permet la flexibilité indispensable à la compétitivité, accompagnant le développement économique.
Les processus d’externalisation et de sous-traitance poussent à l’extrême cette tendance qui voit la relation d’emploi se réduire à une relation individuelle gérée à la tâche effectuée, en transférant tous les aléas de l’environnement et ses perturbations économiques incessantes aux prestataires.
De fait, les emplois précaires (intérimaires, contrats à durée déterminée, saisonniers, vacataires, indépendants « fictifs » ...) sont en nette progression dans tous les secteurs d’activité.
Face à la rigidité des contrats de travail à durée indéterminée et aux fluctuations conjoncturelles de la demande des marchés, pour de nombreuses entreprises, c’est devenu un instrument indispensable d’ajustement, un mode « normal » de gestion des ressources humaines.
La volatilité grandissante de l’emploi est un fait incontournable : les entreprises, pour la plupart, remettent en cause le principe de stabilité de la relation d’emploi, recherchent la flexibilité maximale, et, parallèlement, cette nouvelle donne managériale a bien été perçue et a donné naissance à une méfiance grandissante des salariés (et en particulier des jeunes) à l’égard des entreprises : leur fidélité n’est plus automatique dans la mesure où, réciproquement, l’employeur précarise la relation d’emploi. Les comportements plus volatils ou indépendants des salariés répondent aussi aux comportements moins stabilisateurs des entreprises.
Les contrats à durée déterminée et d’intérim tendent à être plus nombreux que les contrats à durée indéterminée pour les jeunes embauchés et leur parcours professionnel va être constitué d’une multitude d’employeurs et de situations de travail, imposées ou plus rarement par choix personnel. La mobilité croissante des trajectoires professionnelles rend ainsi difficile le suivi individuel des expositions aux risques.
Les emplois précaires sont ainsi de plus en plus nombreux et si c’était fréquent dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, de l’agriculture, du tourisme, du bâtiment, du spectacle ..., cela l’est devenu tout autant dans tous les autres secteurs de l’industrie ou du tertiaire ou ils ne correspondent plus du tout seulement aux surcharges occasionnelles ou aux tâches provisoires ou au remplacement d’un salarié absent.
La généralisation des emplois précaires est attestée par le fait que désormais environ un quart des actifs ont eu des trajectoires d’emploi marquées par la précarité et que plus des trois quarts des salariés sont nouvellement embauchés en contrat précaire.
Cette utilisation structurelle massive des emplois précaires répond ainsi à des impératifs économiques puissants :
- Le travail intérimaire ou indépendant exclut les salariés des avantages salariaux ou sociaux acquis par ceux de l'entreprise donneuse d'ordre, et permet par suite de bénéficier de coûts généralement plus faibles, surtout pour les très grandes entreprises ;
- Le recours aux emplois précaires a pour conséquences de faciliter le travail à flux tendus, d’accroitre la flexibilité du travail, de variabiliser les couts, de limiter l’effectif et les problèmes de gestion du personnel.
Ce qui apparaît avantageux en cas de baisse d’activité, adapter rapidement l’effectif nécessaire, permet d’abaisser le « point mort » de l’entreprise (il y a moins de couts fixes). Inversement, en cas de hausse d’activité, on trouve rapidement les ressources humaines supplémentaires adéquates. Les perturbations incessantes de l’environnement économique sont alors moins pénalisantes pour les entreprises utilisatrices.
Au delà de la gestion des surcharges temporaires ou des remplacements pour absence ou congé (maladie, maternité...), le recours aux empois précaires est devenu ainsi un mode de gestion des effectifs bien plus large qui concerne de très nombreux travailleurs maintenus hors du collectif de travail de l’entreprise, par leur statut, leur rémunération, leur promotion, leur formation, leurs avantages sociaux, leur motivation ... et leur sécurité et santé au travail ...
Les causes de la surexposition aux risques des travailleurs précaires
Les risques professionnels des emplois précaires, qui varient évidemment beaucoup selon les tâches effectuées, le profil des individus, ont néanmoins des caractéristiques communes : ils concernent plus fréquemment ce type de travailleur, car ils sont plus exposés aux risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles du fait des conditions de travail de cette main d’œuvre, des tâches confiées souvent parmi les plus dangereuses, leur manque d’information, de formation et de connaissances des lieux et des procédés qui augmentent ainsi leur vulnérabilité. Le travailleur précaire dispose en effet de très peu de temps pour découvrir son nouveau poste, se familiariser avec son environnement, assimiler et mettre en œuvre les mesures de sécurité.
Le travail temporaire, intérimaire ou saisonnier se caractérise par un enchainement de contrats courts et est associé à une dégradation des conditions de travail et de la situation en matière d’hygiène et de sécurité : fréquence et gravité des accidents de travail, notamment les premiers jours d’emploi et en fin de contrat. La fatigabilité est accrue avec l'enchaînement de missions différentes, les difficultés liées à la méconnaissance et/ou à la nouveauté de la fonction, à l'obligation de suivre le rythme imposé, avec des prises de risque pour être à la hauteur. Ces travailleurs sont en majorité des demandeurs d’emplois ou des jeunes gens ayant aucune ou peu d’expérience professionnelle : les gestes et postures adéquates, les notions d’hygiène et sécurité au travail ne leur sont pas du tout familières. A l'absence de conscience des risques, s’ajoute la difficulté à identifier leurs limites et la réticence à demander des informations par manque de confiance en eux ou pour faire bonne impression ou de peur d’apparaître incompétent.
Plusieurs études (°) montrent que la précarité du travail est associée à une dégradation des conditions de travail et de la situation des salariés précaire en matière d’hygiène et de sécurité (fréquence et gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles).
Il en résulte globalement que la fréquence des accidents de travail précaire est deux fois plus importante que la moyenne, et de plus ces accidents sont deux fois plus graves.
Et ce phénomène est probablement sous-estimé, car, la forte mobilité de l’emploi, la grande diversité des lieux de travail, rendent très difficile le suivi de ces travailleurs et la traçabilité de leurs expositions pathogènes, avec une occultation des risques professionnels et une sous-déclaration des accidents du travail.
- Les différents emplois précaires
La précarité du travail se définit comme une situation d’instabilité imposée (ou choisie sous contrainte), qui se traduit par un contrat de travail non pérenne : l'usage de ces contrats précaires (par rapport au contrat typique du salarié à temps plein et à durée indéterminée) entraîne une baisse de la protection sociale puisque le travailleur n'est plus durablement inscrit dans un système de régulation collective.
Le travailleur intérimaire est un salarié embauché et rémunéré par une entreprise de travail temporaire (ETT) qui le met à titre onéreux à la disposition provisoire d’une entreprise utilisatrice (EU).
Un contrat à durée déterminée (ou CDD) est un contrat de travail par lequel un employeur recrute un salarié pour une durée limitée. Un tel contrat n'est possible que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les durées et dans les cas énumérés par la loi (référence à la durée d’une mission ou d’une absence d’un salarié à remplacer, hausse imprévue et provisoire de l'activité ...), ce qui n’est pas toujours respecté par les entreprises.
Il y a une grande difficulté d’appréhender le travail saisonnier, d’identifier et de caractériser ces salariés représentant une population mouvante, mal recensée, hétérogène. En effet, les contrats saisonniers, de quelques jours à plusieurs mois, concernent une multitude très diverse d’activités et de profils de travailleurs, principalement dans le secteur agricole, le tourisme, les services, certaines industries alimentaires et les établissements thermaux. Les contrats saisonniers correspondent à des emplois prévisibles, cycliques (à la différence des surcharges occasionnelles) le plus fréquemment pendant la période estivale mais aussi hivernale, répondant à des besoins de courte durée mais répétitifs d’une année sur l’autre. Le contrat de travail saisonnier est un contrat à durée déterminée avec quelques particularités qui l’en distingue (clause de reconduction...).
Le facteur lié au contexte économique de crise et de chômage massif a incontestablement profité au développement du travail indépendant contraint ou « fictif » : le travail à la mission ou à la tache entraîne souvent des dérives abusives remettant en cause le salariat classique, en développant la flexibilité au détriment de la sécurisation de l’emploi et en généralisant la précarité.
Un vacataire du service public est une personne à laquelle l'administration fait appel pour exécuter une tâche précise et très limitée dans le temps ou un contractuel rémunéré sur la base de vacations, c'est-à-dire généralement à l'heure, à la demi-journée ou à la journée. - Les travailleurs précaires sont souvent placés en situation permanente de nouveaux embauchés
Ils se trouvent dans une situation de travail qu’ils ne connaissent pas, ce qui les rend plus vulnérables : lieux de travail différents, activité nouvelle, collectif de travail inconnu, habitudes inédites. Par manque d’information, ils risquent d’être exposés à des agents chimiques dangereux ou à des contraintes physiques et organisationnelles qui peuvent être à l’origine d’accidents. - Les situations de travail et d’emploi des salariés précaires sont instables
La précarité, par crainte de rester au chômage, pousse à valoriser le fait d’avoir un emploi, quitte à en minimiser les risques, à ne pas revendiquer ses droits en particulier en matière de sécurité, à accepter la sous-déclaration des accidents du travail. L’instabilité des postes occupés compromet la connaissance exacte des risques encourus et n’incite pas à la formation pour y faire face.
L’enchaînement et la courte durée des différentes missions induit un éparpillement des savoirs individuels de prudence : chaque site industriel comporte, en effet, un certain nombre de risques spécifiques, inhabituels et mal maîtrisés par le personnel précaire, y intervenant rarement ou pour la première fois, avec très peu de temps pour découvrir son poste de travail et se familiariser avec son nouvel environnement. - La nature des travaux confiés aux salariés précaires implique souvent des conditions de travail les plus dangereuses ou pénibles
Le personnel précaire est amené souvent à effectuer de nombreuses interventions dangereuses : le recours à l’intérim ou aux CDD correspond alors à un transfert de risques en les faisant supporter par d’autres travailleurs que ceux de l’entreprise (comme c’est le cas avec le développement de la sous-traitance). Le personnel d’entretien par exemple, connaît peu ou pas du tout les lieux, effectue des travaux souvent dans des espaces clos, mal éclairés, exigus voire insalubres. - L’insatisfaction au travail des employés précaires est source de risques psychologiques professionnels
Les changements incessants de postes et situations de travail demandent au salarié précaire de s’adapter constamment et tout processus d’adaptation met systématiquement en jeu une réponse de stress : sentiment de perte des repères, de savoir-faire, difficulté à se remettre en cause et à se projeter dans un futur incertain, d’où le développement de réactions de doute et d’angoisse.
Cette insécurité de l'emploi intrinsèque au travail précaire est évidemment une des causes qui explique la hausse de la fréquence des risques psychosociaux chez les travailleurs précaires, mais pas la seule.
Du fait de la précarité, la réduction du sentiment de l’estime de soi, la faiblesse du sentiment d’accomplissement et de reconnaissance du travail fourni, l’inexistence d’un collectif de travail solidaire, l’exclusion des salariés précaires des avantages sociaux de l'entreprise donneuse d'ordre, entrainent une baisse de motivation qui agit directement sur le poids de la charge mentale qui devient de plus en plus écrasante.
Les postes de travail (taches répétitives ou ingrates, travail de nuit ...) peuvent aussi être sous-qualifiés par rapport à la compétence du travailleur contraint de les accepter pour avoir un revenu : la démotivation qui en résulte est alors aussi source de risque psychologique.
Un travailleur malheureux au travail peut cumuler des sentiments d’oppression, d’exploitation et d’injustice, le travail est ressenti comme une forme d’aliénation. Cette situation de travail le rend très vulnérable en diminuant ces capacités défensives, et c’est souvent d’autant plus grave que sa souffrance est refoulée et peu exprimée, ce qui peut mener à la dépression, voire au suicide.
La réalité croissante du rôle du facteur « précarité du travail » dans les atteintes à la santé notamment psychique et de ses effets somatiques par le stress (maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, troubles gastro-intestinaux, états d’anxiété et dépressifs...) est confirmé par plusieurs études (°).
Si le stress permanent a des effets destructeurs et pathogènes sur les individus qui y sont soumis, les troubles comportementaux qui en résultent rejaillissent également sur la vigilance du salarié précaire qui le rend moins soucieux de la prévention des risques et de l’observance de règles de sécurité, avec pour conséquence une exposition accrue aux accidents du travail.
Pour aller plus loin
(°) DARES Analyses 2015-092 - Insécurité de l’emploi et exercice des droits dans le travail (5 pages)
(°) Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé : Les effets de la précarité du travail sur la santé : le droit du travail peut-il s’en saisir ? (2009)
- OFFICIEL PREVENTION : Formation > Fiches Métier : La prévention des risques professionnels des intérimaires
- OFFICIEL PREVENTION : Formation > Fiches Métier : La prévention des risques professionnels des travailleurs saisonniers
Avril 2016
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